10. Le mal et la souffrance : Dieu responsable ?

Les idées sur l’au-delà et sur Dieu sont souvent obscurcies par la question du mal et de la souffrance. Que, d’affirmations bizarres n’entend-on pas sur ce sujet, surtout dans les pays de vieille civilisation chrétienne! Là où dominent d’autres religions ces questions sont beaucoup moins mises en avant. En pays musulman, par exemple, on n’entend pas maudire Allah ou nier son existence sous prétexte qu’existent le mal et la souffrance.
Une fois n’étant pas coutume, je livre un souvenir personnel, lointain, mais vécu : j’en souffre encore dans ma chair et mes os. Grièvement blessé par une balle allemande, le 15 janvier 1945, j’ai eu de ce fait à côtoyer pendant plusieurs mois dans les hôpitaux militaires des blessés agnostiques, ou croyants de différentes religions.
J’ai eu ainsi comme voisin de lit un caporal marocain de l’armée du général (plus tard maréchal) Juin. Blessé par une balle dans l’épaule droite, il souffrait, le malheureux, mais il souffrait avec un calme et une dignité qui faisaient mon admiration. Par contre, dans la rangée de lits d’en face était un soldat de la région parisienne au pied coupé, parce qu’il avait sauté sur une mine, C’est terrible d’être amputé lorsqu’on a vingt ans, mais cela ne justifiait quand même pas tous les blasphèmes qu’il nous faisait entendre. Les moins blasphématoires avaient cette forme: « Qu’ai-je fait au Bon Dieu pour avoir ça ? » Ou bien:  » Il n’y a pas de Bon Dieu, sinon on ne verrait pas toutes ces souffrances ! »
Mon voisin musulman lui lançait des regards où se sentaient le reproche et le mépris. Il était scandalisé qu’on puisse parler ainsi d’Allah, même appelé Bon Dieu. Le caporal souffrait sans se plaindre. C’était écrit, disait-il. Etait-ce vraiment du fatalisme? Ce n’est pas sûr. J’ai recueilli près de lui des paroles admirables, révélant une confiance totale en Allah, qui aime ses « croyants », quoi qu’il arrive. Adolf Hitler était pour lui un « Grand Satan », qui ‘méprisait tous les croyants! Une sourate du Coran parle de la récompense préparée par Allah pour ceux qui ont mené le bon combat contre l’infidèle ou le suppôt de Satan. Mon voisin musulman avait une confiance entière et fidèle en Allah.
Avec émotion on voyait ainsi le contraste entre deux attitudes: celle d’un ancien chrétien qui blasphémait contre Dieu, puis celle d’un musulman qu’on ne pouvait s’empêcher d’estimer et d’admirer dans le calme de sa foi. Certains vont croire que je veux magnifier l’une des croyances aux dépens de l’autre. Serait-ce honnête?
Si le soi-disant chrétien au pied coupé avait approfondi sa foi, il aurait pu comprendre que le dieu chrétien, qui s’est abaissé par amour à partager la condition humaine jusqu’en de terribles souffrances, est beaucoup plus près des gens souffrants que le dieu musulman. Ceux Qui souffrent peuvent s’unir par amour aux tourments subis par Jésus lors de sa passion; il partage leur souffrance et les aide (Matthieu, XI, 28). Les grands mystiques ajoutent que les souffrances, acceptées, offertes par amour, en union avec celles de Jésus sur la Croix, contribuent à sauver le monde. Il y a là un « plus » que les autres religions ne donnent pas.

Peut-on expliquer la souffrance et le mal ?
La souffrance n’est pas pour autant quelque chose de bon. Elle est « mauvaise en soi » disent les philosophes et les théologiens. Il n’existe pas d’explication valable pour la souffrance. Oeuvrer pour la diminuer ou la supprimer autour de nous est notre plus beau combat. Tous les progrès de la médecine, de la chirurgie, de la pharmacie et des sciences auxiliaires sont des bienfaits à utiliser, – avec une pointe de reconnaissance pour ceux auxquels on les doit.
Quant au mal, il n’a d’existence que par rapport au bien. Il est une absence, une privation de bien. Prenons quelque exemple. La surdité est appelée un mal, la cécité aussi. Qu’existe-t-il en réalité ? Une oreille privée de ce bien qu’est l’ouïe, un oeil privé d’une bonne vision.
A l’origine, l’oreille a été créée pour l’ouïe et l’oeil pour la vision. Parfois, ils ont pu être abîmés dès la naissance, parce que la mère (ou le père) absorbait trop d’alcool. de drogue, de tabac ou de produits nocifs. On ne peut rendre Dieu responsable du mal. Il n’a pas créé le mal, car ce dernier, répétons-le n’existe pas par lui-même: il n’a d’existence qu’en fonction d’une privation de bien.
Lorsqu’on a compris cela, on ne peut plus accorder crédit au raisonnement simpliste qui fait nier l’existence de Dieu parce que le mal existe. Cependant, une autre question vient nous tourmenter: pourquoi Dieu laisse-t-il faire le mal? La question n’est pas simple…

Pourquoi Dieu laisse-t-il faire le mal ?
Il est utile de distinguer ici le « mal moral », celui qui est la conséquence de la liberté humaine, et le « mal physique »,- indépendant de la volonté humaine. (Cataclysmes divers).
« La liberté, seule valeur impérissable de l’histoire », écrit Albert Camus dans L’homme révolté. La liberté est notre bien le plus précieux, un bien dont on ne se rend compte vraiment de la valeur que lorsqu’on en est privé. Tout laisse à penser que Dieu respecte infiniment notre liberté. Nos actes ont besoin d’être accomplis librement pour avoir une valeur. La liberté, ça existe – et les conséquences aussi.
Particulièrement douloureuses sont les conséquences des guerres, des violences ou des pénuries, dues trop souvent à la mégalomanie, à la soif de pouvoir et à l’imprévoyance de nos dirigeants, plus soucieux de leur fortune ou du triomphe de leurs idéologies que du bien-être de leurs sujets.
L’explication du mal par les conséquences de la liberté humaine semble une explication valable, mais elle ne nous satisfait pas vraiment en face de grands maux révoltants. Comment Dieu, par exemple, a-t-il pu permettre des bombardements comme ceux de Dresde (1944) ou d’Hiroshima, le premier ayant fait encore plus de victimes que le second ?
A cette question, j’ai cherché une réponse dans l’oeuvre d’un docteur en théologie, le Père Petit. Voici ce qu’il écrit dans son livre Le Problème du mal : » … Pourquoi Dieu permet-il ces choses? Parce qu’il ne pourrait les empêcher que par miracle, c’est-à-dire par une dérogation manifeste aux lois naturelles. Le miracle est certes possible, mais dans un contexte religieux, pour opposer une signature de Dieu à une doctrine révélée, pour manifester sa bienveillance pour telle œuvre, pour mettre en lumière la sainteté de telle personne. Mais croire que Dieu intervienne à tout instant pour réparer les bévues d’hommes responsables de leurs actes et de leurs conséquences, c’est ne pas le connaître.
 » Il a créé un monde intelligible. S’il modifiait perpétuellement les lois de la nature, l’intelligence humaine se perdrait dans son étude du monde et l’homme ne pourrait plus dominer par la science et par la technique le monde matériel, comme il est normal qu’il le fasse. Si Dieu, au moment de la bombe d’ Hiroshima; avait bouleversé les lois de la fission des atomes, il devenait impossible à l’homme de s’approprier l’énergie nucléaire » (33).

Ces lignes font entrevoir aussi une explication pour le mal physique: tempêtes, cyclones, épidémies, inondations, tremblements de terre et cataclysmes divers. On se rend compte aujourd’hui que l’Univers n’est pas une création posée immuable, comme on le croyait autrefois. La science actuelle révèle un Univers toujours en genèse, en évolution.
Nos scientifiques découvrent peu à peu les lois qui régissent les courants marins, les courants aériens de l’atmosphère, les déplacements des plaques de l’écorce terrestre … n y a des lois naturelles qui régissent l’Univers; les événements qui s’ensuivent ont leur autonomie. La non intervention de Dieu dans ces événements découle de l’autonomie qui leur est nécessaire.
Évidemment, pour valables qu’elles soient, ces explications ne peuvent nous servir de consolation lorsque nous sommes affrontés à la souffrance provoquée par un cataclysme. La souffrance reste un mystère. En nous, un faisceau de tendances nous informe que nous sommes faits pour le bonheur. Ce dernier ne peut être total sur Terre, il semble fait pour l’être au-delà.

Inévitable souffrance.
Cependant, la souffrance fait partie de la condition humaine, – dans un univers en état d’évolution progressive, c’est-à-dire allant du moins vers le plus. En certains cas, il est évident que la souffrance est là comme stimulant vers le progrès. En effet, si elle n’existait pas, aurait-on vu depuis un siècle les médecins, les chirurgiens, les radiologues, les laborantins, les divers membres des professions médicales ou paramédicales accomplir autant de progrès pour essayer de soulager les misères humaines?
Des observations semblables peuvent être faites en d’autres domaines. Ainsi, pour diminuer la peine des femmes qui, autrefois, frottaient leur parquet à la main, ou abîmaient ces mains à faire la lessive ou la cuisine, regardons combien d’appareils ménagers ont été inventés! Le désir de diminuer la souffrance pousse au progrès de l’humanité.
On le voit aussi pour le progrès moral ou spirituel. La souffrance joue un rôle d’avertisseur pour nos excès, nos incartades ou nos erreurs. Le célèbre biologiste Jean Rostand, voyant l’un de ses amis, fumeur invétéré, souffrir d’un début de cancer â la gorge, disait: « il est rare que nous soyons tout à fait innocents de nos souffrances » La souffrance peut nous éduquer et nous grandir. Alfred de Musset l’a dit en quelques beaux vers de sa Nuit d’Octobre:
L’homme est un apprenti, la douleur est son maître,
Et nul ne se connaît tant qu’il n ‘a pas souffert.

La souffrance, en effet, nous aide à nous connaître. Elle nous aide aussi à comprendre les autres, à penser à leur rendre service, à les soulager. On comprend mal la peine des autres si l’on n’a pas souffert soi-même. La souffrance, en certains cas affine notre âme.
A ce sujet, on serait tenté de dire qu’il en est de notre âme avec la souffrance comme d’un diamant avec le joailler. Avec sa meule miniature et ses outils, il le débarrasse de sa gangue, le taille et le retaille jusqu’à ce qu’il présente les meilleures facettes pour refléter la lumière. La comparaison pourrait s’appliquer à notre âme avant ou après son approche de l’énigmatique « être de lumière », étudié précédemment et décrit par les N.D.E.
A travers ce chapitre nous venons d’examiner les « idées toutes faites » habituellement évoquées pour Inexistence de Dieu. Il est permis d’en conclure que l’athéisme ne repose sur rien de solide.
Ne nous laissons donc pas impressionner par les affirmations de certains personnages haut placés ou influents, fussent-ils en France ministres de la Culture ou de l’Éducation nationale, (déjà cités) nous annonçant d’un air sérieux que nous entrons dans « une ère nouvelle, celle de la laïcité achevée » et que « la mort est désormais sans pourquoi, sans appel ni au-delà » (34) car, selon eux, elle ouvre sur le néant.
Il n’existe aucune donnée scientifique valable, ni aucun argument probant, pour nous obliger à nous plier devant cette dictature du néant, fruit principalement de notre société de consommation et de l’influence de politiciens ou d’idéologues pressés d’imposer leur dogme de la laïcité jusqu’au delà de la mort.

 

Chapitre suivant : 11. Comment a-t-on identifié L’Être de lumière ?