9. Peut-on prouver l’inexistence de Dieu ?

Comme il a été dit, Dieu étant hors de l’espace et du temps ne peut être appréhendé par la Science. Notre liberté de croire ou de ne pas croire est ainsi respectée. On le voit en particulier en France, où les sondages semblent révéler que le nombre des croyants et celui des athées ne semblent pas beaucoup se dépasser.
Dieu, on ne le voit pas! Tel est l’argument le plus commun. A été cité en introduction le mot de la célèbre journaliste Françoise Giroud, qui elle-même l’empruntait à un personnage de Sartre: Le Ciel est vide! Moins célèbre, mais plus fréquent est le mot du digne professeur de lycée voyant l’un de ses élèves affirmer en classe une croyance religieuse:
– Moi, je ne crois qu’à ce que je vois!
L’élève doit respecter son professeur, éviter de la contredire, même s’il a envie de lui dire ceci:
– Cher professeur, êtes-vous sûr de ne croire qu’à ce que vous voyez ! Vous croyez à l’existence des ondes captées par vos divers appareils et même par la télévision que vous regardez chaque soir. Les avez-vous vues, ces ondes ? Vous croyez aussi aux atomes et à leurs composants, nucléons, électrons, protons, quarks, gluons, etc… Les avez-vous vus ? En physique, en chimie et dans les diverses sciences enseignées, vous croyez à beaucoup de théorèmes, de lois et de données sans avoir refait vous-même toutes les expériences de base. De même, dans les sciences humaines, en Histoire, par exemple, vous croyez à l’existence de César, de La Fayette ou de Napoléon, Les avez-vous vus ?
Si nous pouvions, à ce sujet sonder à fond notre mémoire, notre conscient, notre subconscient, nous serions effarés de voir tout ce à quoi nous croyons sans l’avoir vu!  Nous y adhérons parce que ces croyances ne dérangent pas trop nos habitudes, notre manière de vivre ou de penser. On peut y trouver une explication dans le fonctionnement de notre cerveau.

Les deux hémisphères de notre cerveau.
Le cerveau humain est, on le sait, un petit chef-d’œuvre électronique comprenant, en gros, deux hémisphères réunis entre eux par des faisceaux de fibres nerveuses. De l’hémisphère gauche relève la production et la compréhension du langage et des chiffres. C’est le côté intellectuel.
L’hémisphère droit est davantage donné à l’affectivité … l’amour, la haine, l’intuition le sentiment du beau et du laid… Pour qu’une décision soit prise, il faut que les deux hémisphères soient en accord. Par exemple, devant un raisonnement intellectuel amenant à une croyance, si l’hémisphère droit n’y donne pas de son affectivité, la croyance en question est mise de côté, ou même peut être combattue pour trouver des raisons justifiant ce refus. Pour croire, il faut « que le cœur y soit »
Pour ce qui est de la croyance en Dieu, le refus, venant du fait qu’on ne le voit pas, est fréquent. Il provoque parfois des histoires intéressantes, comme celle qui va suivre.

«Si tu le vois, tue-le, car ce n’est pas lui! »
Ceux d’entre nous qui ont vécu en avril 1961, époque de l’envoi du premier homme dans le cosmos, se souviennent de tout le bruit fait dans les médias autour de cet exploit. Le cosmonaute russe, Youri Gagarine (+ 1968) devint la grande vedette de la radio et de la télévision russe. Il y fut requis, pour des déclarations appuyant la propagande athée soviétique. Il proclama ainsi:
–  Dans le cosmos je n’ai pas vu Dieu!
Peu après, Gagarine rencontra, dit-on, dans une rue de Moscou, deux anciens camarades de classe, heureux de la féliciter: ‘
– Bravo, Youri, on est fiers de toi! et tu dis que dans te cosmos tu n’as pas rencontré Dieu! Tu as raison. Si tu le rencontres, tue-le, car ce n’est pas lui !
Dans nos pays civilisés rares sont les croyants sains d’esprit qui croient encore en un Dieu, vieillard barbu se promenant sur les nuages. La propagande athée soviétique voulait sans doute montrer ainsi que tous les croyants étaient des retardataires. Quittons maintenant ce problème de non-vision pour aborder d’autres arguments en faveur de l’inexistence de Dieu.

Jung, Feuerbach, Freud et autres.
Parmi les idées les plus répandues notons celles des disciples de Jung ramenant l’idée de Dieu à un simple « archétype de l’inconscient collectif», produit nébuleux d’un raisonnement instinctif, d’une peur ou d’un besoin… Tout ceci ne mène pas à une évidence.
Plus impressionnantes sont les idées émises par Feuerbach (1804-1872) et par Freud (1856-1939). Pour eux, Dieu est « une projection de notre mental, une projection de nos désirs ». Il peut y avoir du vrai en ces affirmations, mais nos auteurs ont oublié de noter qu’il y en a aussi dans la proposition inverse: si je refuse Dieu, c’est parce que je considère qu’il bride mes pulsions ou mes désirs, plus portés vers l’égoïsme que vers l’altruisme. L’athéisme serait, lui-aussi, une projection de nos désirs.
Tout bien examiné, ces idées de projection, séduisantes au premier abord-ne prouvent rien. Un philosophe a dit: « Ce n’est pas du tout parce qu’on la désire qu’une chose existe, cela est exact. Mais il n’est pas exact qu’une chose ne pourrait pas exister sous prétexte qu’on la désire ».

L’Univers a pu se passer d’un Créateur ?
Au temps de Karl Marx, d’Engels et même de Lénine, on pouvait encore dire que l’Univers (ou la Matière) étaient éternels et qu’ils n’avaient pas eu besoin d’un Créateur. Depuis les environs de 1930 une série de découvertes scientifiques vient battre en brèche ce dogme matérialiste.
L’astrophysique, avec l’analyse spectrale, puis la radioastronomie paraissent bien confirmer maintenant que l’Univers est en expansion; les galaxies s’éloignent les unes des autres, ce qui suppose un point de départ, un commencement, même si l’on n’est pas d’accord sur les modalités du bing bang. Cette énorme explosion, qui résonne encore dans l’Univers, selon les radioastronomes, garde un côté mystérieux.
En somme, pour ne pas croire à l’existence d’un Dieu-Créateur, il faut croire que l’Univers est éternel et, pour que l’Univers soit éternel il faut croire qu’il n’a pas eu un commencement, – et qu’il n’aura pas de fin. « Que de choses il faut croire pour ne pas croire ! » disait un humoriste. Il y a même une autre chose importante à laquelle il faut croire: la matière a su faire preuve d’une intelligence énorme pour créer toute seule l’Univers et l’être humain pensant. C’est ce que les Soviétiques ont appelé l’ athéisme scientifique, – les « Occidentaux» ayant préféré l’appeler « la loi naturelle et la nécessité »

« L’athéisme scientifique». La« loi naturelle et la nécessité ».
Cette théorie fait appel à une sorte de nécessité intelligente qui serait inscrite dans la matière. Son principal promoteur contemporain, un russe ayant vécu à l’époque où Staline, imposait l’athéisme comme un dogme à tous ses sujets, s’appelait Alexandre Ivanovitch Oparine (1894-1980). Chimiste et biologiste, il fut nommé par Staline membre de l’Académie des Sciences de Moscou.
Ses théories ont été publiées dans une traduction française ayant pour titre L’origine de la vie sur la Terre (Paris, PCF, 1965) .« Les progrès énormes des sciences de la nature, y écrit-il, permettent d’acquérir la conviction que l’apparition de la vie sur la Terre n’est pas un hasard heureux » Il invite à réfléchir sur les expériences de S.L.Miller, physicien américain. A partir d’un mélange de méthane, d’ammoniaque, d’hydrogène et de vapeur d’eau, il obtint sous l’action prolongée d’une effluve électrique certains acides aminés, des corps qui sont parmi les constituants des protéines. Ainsi, à l’origine du monde, sous l’effet d’une décharge électrique, a pu se produire une organisation moléculaire qui serait l’effet d’une loi naturelle. Ceci aurait orienté la matière dans le sens de structures de plus en plus complexes et, finalement, vers la constitution d’êtres vivants et pensants. Il n’est donc pas nécessaire de faire appel au hasard ou à une intelligence organisatrice indépendante de ta matière.
C’est, d’après lui, la matière elle-même qui s’organise, qui est intelligente; L’hypothèse est séduisante. Que vaut-elle ?

La matière peut-elle s’organiser elle-même?
Qu’est-ce que la matière? CI. Tresmontant, enseignant à Paris-Sorbonne, répond: « C’est une multitude d’éléments, d’atomes, de grains d’énergie …  » Et il poursuit ainsi à ce sujet:
« …Dire que la matière s’organise elle-même, par ses ressources propres, c’est se permettre une métaphore hardie: mais que recouvre cette métaphore? La matière n’est pas une personne pour être sujet d’un verbe réfléchi. Elle n’est pas quelqu’un pour être capable de s’organiser elle-même. La matière est une multiplicité. Comment s’organiserait-elle elle-même? Pour que cette suffisance, cette auto-organisation soit possible, il faudrait que la matière puisse être sujet, qu’elle puisse dominer elle-même cette multiplicité qu’elle est, afin de s’organiser.
Pour intégrer une multiplicité d’éléments dans une synthèse, il fout une puissance supérieure à cette multiplicité, il faut quelque chose d’autre que cette multiplicité. Les liaisons de valence et d’affinité chimiques ne suffisent pas à expliquer cette organisation de la matière en synthèses de plus en plus complexes, et puis en organismes de plus en plus complexes aussi …
Attribuer à la matière le pouvoir de s’organiser elle-même en macromolécules, en organismes monocellulaires, en organismes pluricellulaires de plus en plus complexes, c’est attribuer à la matière une intelligence, un génie bien supérieur à toute l’intelligence de l’humanité pensante, puisque, par notre science, nous ne sommes pas parvenus à comprendre pleinement, et il s’en faut, comment s’est opéré, comment s’opère encore en ce moment même cette organisation de la matière qui constitue les organismes vivants et pensants » (34).
Il y a donc un vice de raisonnement à la base de la théorie de la loi naturelle et de la nécessité: elle aboutit à faire de la matière l’intelligence suprême.

Un « athéisme scientifique » utilitaire.
Ce qui vient d’être exposé au sujet de la « loi naturelle et la nécessité », puis sur la non- éternité de l’Univers, révèlent que l’expression athéisme scientifique est un abus de langage.
L’athéisme ne peut s’imposer comme « scientifique ». Et cependant il l’a été longtemps (depuis 1917), tel un dogme obligatoire, en U.R.S.S., puis dans les pays soumis (à partir de 1945), que la puissance dominatrice fit appeler (encore un abus de langage): »démocraties populaires”. Il l’est encore actuellement en Chine, en Corée du nord et, d’une façon moindre (?), au Vietnam, à Cuba, dans les pays où un Parti communiste confisque à son profit la liberté.
fi est bon d’essayer d’en comprendre les raisons. Elles ne sont pas scientifiques, elles sont utilitaires. En effet, la croyance en Dieu contient un éventuel ferment de contestation envers un parti totalitaire, puisqu’elle reconnait une autorité spirituelle supérieure à celle du Parti et indépendante de lui; elle peut ainsi contester la façon dont il emprisonne, puis exécute ses opposants, ou les envoie en camp de travail, voire en asile psychiatrique …
Pour fortifier son autorité, le Parti prétend sa doctrine basée sur la Science. Les opposants sont alors présentés comme des attardés, des rétrogrades suspects. L’athéisme « scientifique » se révèle ainsi utile à la survie d’un parti dominateur à caractère totalitaire.
On peut s’étonner de cet état de choses, Einstein, lui, ne s’en étonnait pas. On sait qu’il eut à souffrir des idéologues, des nazis en particulier. Aussi disait-il avec humour: « Deux choses paraissent infinies: la bêtise humaine et I’ Univers. Mais, pour ce dernier, je n’en ai pas la certitude absolue! »

…La bêtise est humaine. Qui d’entre nous pourrait se vanter de n’avoir jamais dit ou fait une bêtise dans sa vie? La vie serait d’ailleurs sans charme si tout était parfait, si la bêtise n’existait pas ! Cette dernière mérite donc l’indulgence, sauf si elle est volontairement employée pour s’assurer une domination sur les autres, ce que font certains dirigeants de partis politiques, telles communistes.
Nous sommes faits pour la liberté. Ce qui a été signalé précédemment sur le fonctionnement du cerveau le montre. Il n’est pas question ici de démontrer l’existence de Dieu, mais de révéler le peu de solidité des arguments qu’on nous vante pour nous ancrer dans l’athéisme. A ceux que nous venons d’étudier il faudrait ajouter celui du hasard et de la nécessité, dont on nous a « rabâché les oreilles» pendant près de quarante ans. Ce sont, depuis 2001, des notions dépassées, – remplacées par deux mots-clés, le probable et l’improbable. En biologie, la notion de nécessité a vécu, comme on pourra s’en rendre compte dans le beau travail dirigé par deux maîtres en la matière, Yves Coppens et Pascal Pic, et publié sous le titre Aux origines de l’humanité (Paris, Fayard, 2001).
Laissons ses questions intellectuelles pour regagner un peu plus la vie pratique et nous interroger sur des idées toutes faites concernant les rapports possibles de Dieu avec la souffrance et le mal.

Chapitre suivant : 10. Le mal et la souffrance : Dieu responsable ?